Jeux de lettres et stimulation cognitive – Les conseils d’une orthophoniste


Rencontre avec Stéphanie Couesnon, orthophoniste libérale et hospitalière depuis 28 ans en Île-de-France
Les jeux de lettres comme les mots croisés et les mots fléchés ne sont pas seulement un passe-temps agréable : ils constituent aussi un excellent exercice pour la mémoire et le langage. Stéphanie Couesnon, orthophoniste, nous explique leur intérêt dans la prévention et la rééducation des troubles cognitifs.
Est-ce que les mots croisés et les mots fléchés sont des jeux que vous recommandez aux adultes ?
Oui ! Ces jeux sont souvent utilisés en rééducation pour aider les patients à retrouver des mots et à travailler leur accès au lexique. Ils permettent d’exercer plusieurs capacités cognitives simultanément : l’organisation spatiale, la mémoire sémantique et les fonctions exécutives.
Par exemple, lorsqu’on fait des mots fléchés, la stimulation passe par la définition du mot. Pour les mots codés ou mots casés, cela sollicite aussi la mémoire et la flexibilité cognitive, en obligeant à vérifier si un mot correspond bien aux cases disponibles.
Les Sudoku et autres jeux de chiffres sont-ils aussi bénéfiques ?
Absolument. Les jeux basés sur les chiffres, comme les Sudoku, aident à entretenir la logique et les capacités de calcul mental. Ils font partie des activités de prévention efficaces pour stimuler le cerveau et maintenir ses facultés intellectuelles.
Cependant, tout le monde n’apprécie pas ce type de jeux, et il est inutile de forcer quelqu’un à les pratiquer s’ils ne lui procurent aucun plaisir. L’essentiel est de trouver une activité stimulante et engageante.
Peut-on « perdre » ses mots avec l’âge ?
Normalement, on ne perd pas ses mots. Très souvent, avec le vieillissement, on a plutôt des difficultés à retrouver certains mots, en particulier des noms propres comme ceux des présentateurs télé, des comédiens ou encore des noms de villes et de pays. Cela s’explique par un ralentissement général des fonctions cognitives, y compris du chemin que prend le cerveau pour accéder aux mots. Cependant, cela ne signifie pas que l’information est perdue, mais simplement qu’elle met plus de temps à être récupérée.
En revanche, si l’on commence à se tromper de mots fréquemment, comme dire « ananas » au lieu de « banane », cela peut être un signe plus préoccupant. Ces erreurs, appelées paraphasies, peuvent être sémantiques (on confond des mots ayant une signification proche) ou phonémiques (on utilise un mot qui ressemble phonétiquement au mot recherché). Contrairement au vieillissement normal, ces troubles sont plus souvent associés à des pathologies comme la maladie d’Alzheimer, où l’on observe d’abord une atteinte des noms propres avant que d’autres difficultés langagières n’apparaissent.
Dans ce cadre, il est essentiel de stimuler les fonctions exécutives et la flexibilité cognitive grâce à diverses activités. Les jeux de mots et de chiffres (mots croisés, mots codés, méli-mélo, etc.) permettent d’entraîner ces compétences et d’activer des stratégies de compensation en cas de difficulté.
Par exemple, faire des mots fléchés oblige à rechercher la définition d’un mot et à l’expliquer sans forcément s’en souvenir immédiatement. Cela crée des allers-retours entre le mot et sa signification, renforçant ainsi la mémoire lexicale.
Les mots mêlés, quant à eux, sollicitent la reconnaissance orthographique des mots : pour retrouver un mot caché parmi d’autres lettres, il faut déjà en avoir une représentation visuelle en mémoire. Ce type d’exercice stimule le balayage visuel, l’attention et la capacité du cerveau à filtrer les éléments non pertinents pour identifier le mot recherché.
Finalement, même si le vieillissement entraîne un ralentissement du langage, il est possible de le compenser par des exercices réguliers qui renforcent les connexions neuronales et les stratégies alternatives de récupération des mots. Ainsi, on ne « perd » pas ses mots, mais on apprend à les retrouver différemment.


L’impact du langage phonétique type SMS est-il problématique ?
Oui, dans une certaine mesure. Si un mot est toujours vu sous sa forme abrégée (ex. « TKT » au lieu de « t’inquiète »), le cerveau met plus de temps à le reconnaître dans sa version complète. C’est comme une langue étrangère : si on ne l’utilise pas régulièrement, on peut avoir des difficultés à la retrouver.
L’IA va-t-elle changer notre rapport aux mots ?
L’intelligence artificielle est un outil formidable, notamment pour générer du contenu rapidement. Par exemple, si je prépare un concours, je peux demander à l’IA de me résumer des références bibliographiques essentielles. Cependant, il est crucial de savoir interpréter et comprendre ces informations. Si l’on manque de connaissances de base, il est difficile d’être critique face aux approximations de l’IA. Si je ne suis pas en mesure de comprendre et d’analyser ce que l’IA me fournit, alors ces informations restent inutilisables. En réalité, lire un contenu généré sans avoir les connaissances préalables pour le décrypter empêche toute véritable mémorisation. L’enjeu est donc d’apprendre à bien utiliser ces outils, sans pour autant perdre notre capacité d’analyse et de réflexion.